vendredi 19 octobre 2018

Frère d’âme David Diop

Lorsqu’Alfa Ndiaye voit mourir dans ses bras son ami Mademba, comme lui enrôlé sous les drapeaux français, sa raison vacille. Plus que les mois dans les tranchées, plus que les ordres donnés par des soldats blancs qui voient dans les “chocolats” des sauvages propres à intimider l’ennemi, ce dernier drame le fait basculer. Tandis qu’il se met à collectionner les mains des allemands abattus, qu’il leur arrache à coups de machette, son esprit divague de plus en plus souvent vers son Sénégal natal, symbole d’un état du monde à jamais perdu. A la confluence des deux machines à broyer les hommes que sont le colonialisme et la guerre, David Diop explore la psyché fragmentée de son héros. 

La litanie d'un tirailleur sénégalais. Dans ce roman remarquable et inspiré,  David Diop parvient à insérer de la poésie dans la boucherie de la guerre de 14-18.

dimanche 14 octobre 2018

Sorcières de Mona Chollet

Image repoussoir, représentation misogyne héritée des procès et des bûchers des grandes chasses de la Renaissance, la sorcière peut pourtant, affirme Mona Chollet, servir pour les femmes d'aujourd'hui de figure d'une puissance positive, affranchie de toutes les dominations. La sorcière est à la fois la victime absolue, celle pour qui on réclame justice, et la rebelle obstinée, insaisissable. Mais qui étaient au juste celles qui, dans l'Europe de la Renaissance, ont été accusées de sorcellerie ? Quels types de femme ces siècles de terreur ont-ils censurés, éliminés, réprimés ? Et quelle vision du monde la traque des sorcières a servi à promouvoir, du rapport guerrier qui s’est développé alors tant à l’égard des femmes que de la nature?

Beau travail journalistique de Mona Chollet, bien référencé, qui suit l'histoire de trois types de femmes: la femme indépendante (veuves et célibataires ont été spécialement touchées), la femme sans enfant (interdiction de contrôle de la fécondité) ; et la femme âgée (qui passe de sage à objet d’horreur).  

Zones 2018

jeudi 4 octobre 2018

Un gentleman a Moscou d'Amor Towles


Au début des années 1920, le comte Alexandre Illitch Rostov, aristocrate impénitent, est condamné par un tribunal bolchévique à vivre en résidence surveillée dans le luxueux hôtel Metropol de Moscou, où le comte a ses habitudes, à quelques encablures du Kremlin. Acceptant joyeusement son sort, le comte Rostov hante les couloirs, salons feutrés, restaurants et salles de réception de l’hôtel, et noue des liens avec le personnel de sa prison dorée – officiant bientôt comme serveur au prestigieux restaurant Boyarski –, des diplomates étrangers de passage – dont le comte sait obtenir les confidences à force de charme, d’esprit, et de vodka –, une belle actrice inaccessible – ou presque ­–, et côtoie les nouveaux maîtres de la Russie. Mais, plus que toute autre, c’est sa rencontre avec Nina, une fillette de neuf ans, qui bouleverse le cours de sa vie bien réglée au Metropol. Trois décennies durant, le comte vit nombre d'aventures retranché derrière les grandes baies vitrées du Metropol, dans la Russie soviétique.

Dans ce roman enchanteur, l'auteur passe du drôle au sérieux avec une belle célérité.  Nous le suivons dans ce théâtre slave où se projettent les convulsions d'une Russie en mutation. 

Fayard, 2018.