vendredi 11 décembre 2020

Le Pégase d'Antoine Sanchez

Dans ce court roman, nous découvrirons un bar-tabac hors du temps, hanté par ses habitués, personnages en demi-teintes et véritables icônes du lieu, qui se trouvent avoir plus de relief qu’il n’y paraît. Ce texte émaillé de réflexions métaphysiques est un vrai petit théâtre, fait de ces vies cabossées dont on détourne habituellement le regard. 

Petit livre soigné dont la lecture ne laisse pas indifférent. De belles qualités de style servent cette vision particulière de ce lieu d'échange-non-échange qu'est le bistrot.  

Le Pégase d'Antoine Sanchez, L'Atteinte.

jeudi 10 décembre 2020

Le coût de la vie de Deborah Levy

Un divorce forcément douloureux, une grande maison victorienne troquée contre un appartement en haut d'une colline dans le nord de Londres, deux filles à élever et des factures qui s'accumulent... Deborah Levy a cinquante ans quand elle décide de tout reconstruire, avec pour tout bagage, un vélo électrique et une plume d'écrivain. L'occasion pour elle de revenir sur le drame pourtant banal d'une femme qui s'est jetée à corps perdu dans la quête du foyer parfait, un univers qui s'est révélé répondre aux besoins de tous sauf d'elle-même. Cette histoire ne lui appartient pas à elle seule, c'est l'histoire de chaque femme confrontée à l'impasse d'une existence gouvernée par les normes et la violence sournoise de la société, en somme de toute femme en quête d'une vie à soi. 
Le Coût de la vie tente de répondre à cette question : que cela signifie-t-il pour une femme de vivre avec des valeurs, avec sens, avec liberté, avec plaisir, avec désir ? La liberté n'est jamais gratuite et quiconque a dû se battre pour être libre en connaît le coût. Marguerite Duras nous dit qu'une écrivaine doit être plus forte que ce qu'elle écrit. Deborah Levy offre en partage cette expérience.  

Ah, Une chambre à soi... Le coût de la vie est l'autobiographie enlevée d'une écrivaine, femme de 50 ans finalement assez conventionnelle, qui quitte son foyer et s'envole vers une nouvelle vie.

Editions du sous-sol 2020

vendredi 20 novembre 2020

L'anomalie de Hervé Le Tellier

Il est une chose admirable qui surpasse toujours la connaissance, l’intelligence, et même le génie, c’est l’incompréhension."
En juin 2021, un événement insensé bouleverse les vies de centaines d’hommes et de femmes, tous passagers d’un vol Paris - New York. Parmi eux : Blake, père de famille respectable et néanmoins tueur à gages ; Slimboy, pop star nigériane, las de vivre dans le mensonge ; Joanna, redoutable avocate rattrapée par ses failles ; ou encore Victor Miesel, écrivain confidentiel soudain devenu culte.
Tous croyaient avoir une vie secrète. Nul n’imaginait à quel point c’était vrai.
Roman virtuose où la logique rencontre le magique, L’Anomalie explore cette part de nous-même qui nous échappe.

Avec une galerie de personnages bien agencée et une construction impeccable, Hervé Le Tellier nous livre un roman intelligent et divertissant. Ce n'est pas si courant.

Gallimard, 2020

mercredi 14 octobre 2020

La laveuse de mort de Sara Omar

Irak 1986. Lorsque la frêle Frmesk vient au monde, elle n'est pas la bienvenue aux yeux de son père. Ce n'est qu'une fille. De plus, son crâne chauve de nourrisson porte une petite tache de cheveux blancs. Est-ce un signe d'Allah ? Est-elle bénie ou maudite ?
La mère de Frmesk craint pour la vie de sa fille. Quand son mari menace de l'enterrer vivante, elle ne voit d'autre solution que de la confier à ses propres parents.
Gawhar, la grand-mère maternelle de Frmesk, est laveuse de mort. Elle s'occupe du corps des femmes que personne ne réclame, ne veut toucher ni enterrer : des femmes assassinées dans le déshonneur et la honte. Son grand-père est un colonel à la retraite qui, contrairement à sa femme, ne lit pas uniquement le Coran mais possède une riche bibliothèque. Ce foyer bienveillant ne parviendra qu'un temps à protéger Frmesk des inexorables menaces physiques et psychologiques qui se resserrent sur elle, dans un pays frappé parla guerre, le génocide et la haine.
La Laveuse de mort est un roman violent sur la vie d'une enfant — puis d'une jeune femme — exposée à l'extrême. 

L'autrice est née en Irak en 1986. À 10 ans, elle passe par un camps de réfugiés avant de s'installer au Danemark où elle recevra des menaces de mort lors de la publication de ce livre en 2017.  Elle connaît parfaitement son sujet. Le roman raconte crûment les tortures et les féminicides imposés par une religion et des traditions patriarcales. Lecture dure mais indispensable.
 

Acte Sud, 2020, traduction de Frédéric Fourreau.

samedi 29 août 2020

Sale bourge de Nicolas Rodier

Pierre passe la journée en garde à vue après que sa toute jeune femme a porté plainte contre lui pour violences conjugales. Pierre a frappé, lui aussi, comme il a été frappé, enfant.
Pierre n’a donc pas échappé à sa « bonne éducation » : élevé à Versailles, il est le fils aîné d’une famille nombreuse où la certitude d’être au-dessus des autres et toujours dans son bon droit autorise toutes les violences, physiques comme symboliques. Pierre avait pourtant essayé, lui qu’on jugeait trop sensible, trop velléitaire, si peu « famille », de résister aux mots d’ordre et aux coups. Comment en est-il arrivé là ?
C’est en replongeant dans son enfance et son adolescence qu’il va tenter de comprendre ce qui s’est joué, intimement et socialement, dans cette famille de « privilégiés ».

Dans ce premier roman, Nicolas Rodier s'interroge et nous interroge sur le fonctionnement de la répétition. Un enfant maltraité ne maltraitera pas forcément, mais deux maltraitants sur trois ont été maltraités. 

Flammarion, 2020.

Les Déviantes de Capucine Delattre

"Elle sera devenue une trouble-fête, une anomalie. Mais peu lui importera. Elle aura retrouvé autre chose. Le goût des saccages."

Le monde d’Anastasia s’est effondré.
À 29 ans, elle avait l’argent, la stabilité, le prestige. Hier encore, elle exerçait de hautes fonctions dans une grande entreprise. Une conquérante, Anastasia. Toujours en avance sur le reste de son monde. Même pour son cancer du sein. Pour la première fois de sa vie, la voilà limitée. Pourtant, la maladie n’est pas le sujet de son histoire. Plutôt un point de départ, un détonateur. Un accélérateur. Un catalyseur.
Anastasia devient une déviante, celle par qui tout commence, capable d’entraîner dans son sillage deux autres déviantes en germe, Iris et Lolita. Ensemble, elles vont prendre goût au saccage de leur courte existence et s’autoriser à déployer leurs rêves.
À elles trois, elles incarnent une jeunesse qui refuse de se laisser abîmer, une vocation en marche, et surtout, la possibilité de nouvelles trajectoires.

Premier roman de Capucine Delattre, 19 ans, qui nous entraînent dans le quotidien de trois jeunes femmes qui ne reculerons devant rien pour donner corps à leurs rêves. 

Belfond 2020



vendredi 21 août 2020

Les Bukoliques de Cédric Meletta

Un écrivain, ça devrait toujours ressembler à un vieux dégueulasse fornicateur, un poète à la marge, un conteur avec un style cru et un art de la rafale certain, un amoureux des femmes, des courses de chevaux et de musique classique, un fêlé génial ayant pour credo : boire, baiser, boxer, sans ménagement.
Pour Cédric Meletta, un écrivain devrait toujours ressembler à Charles Bukowski.

« Pas une pastorale à l’antique, plutôt le dernier baroud transposé de Buko l’alcoolo, plus vigile que Virgile, plus con saoul que consul, plus latrines que latine. La poésie, s’entend. Chez Hank’, le mot « faune » s’écrit toujours au féminin. Un book posé sur quatre sous-bocks fait d’une longue liste de boucs émissaires. Histoire de marquer le coup. Pour de bon. D’ailleurs, avec les grands poètes, il faut toujours marquer le coup, rien que pour le souvenir de tous ceux qu’ils ont portés"

Pour le centenaire de sa naissance, Cédric Meletta livre une biographie... à la Bukowski!

Les Editions du Rocher, 2020. 




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mercredi 8 juillet 2020

Francis Rissin de Martin Mongin

 

Un roman composé de onze récits enlevés, onze voix qui lorgnent tour à tour vers le roman policier, le fantastique, le journal intime ou encore le thriller politique, au fil d’une enquête paranoïaque sur l’insaisissable Francis Rissin. 

Premier roman remarquable, véritable coup de coeur. Intelligent, jouissif, créatif et drôle.

Tusitala 2019

mardi 23 juin 2020

Les Oxenberg & les Bernstein de Catalin Mihuleac

Voici une famille de Juifs américains, les Bernstein, qui a réussi à Washington DC dans les années 1990 grâce au commerce en gros de vêtements vintage. Persuadés que tout, désormais, des habits aux idées en passant par les sentiments, est plus ou moins de « seconde main », ils s’efforcent de ne voir dans le passé qu’une valeur ajoutée.
Soixante ans plus tôt, de l’autre côté de l’Atlantique, les Oxenberg achèvent de se hisser parmi la bonne société de la ville de Iași, dans l’étrange royaume de Roumanie. Jacques Oxenberg, dont on vante « les doigts beethovéniens », est le meilleur obstétricien de la région. Il vient d’offrir une auto à son épouse, laquelle lui a donné deux beaux enfants. Un gramophone égaye les soirées de leur jolie maison, mais dehors… les voix rauques de la haine commencent à gronder.
Lorsque la riche Dora Bernstein et son fils Ben se rendront à Iași, durant l’été de 2001, les deux histoires se rejoindront, entre secrets de famille et zones d’ombre de la mémoire collective.

"Un visa pour les USA, ce n’est pas à la portée du premier pousse-mégots. Un pays d’émigration ancienne a horreur des nouveaux immigrants."

Gros coup de cœur pour ce roman bien construit au ton ravageur qui nous livre une histoire méconnue dans un style à la fois truculent et bouleversant. 

Editions Noir sur blanc, 2020

 

samedi 18 avril 2020

Je suis une Viking de Andrew David MacDonald

 

Quand Zelda, 21 ans, obsédée par les Vikings, découvre que son grand frère Gert fréquente de dangereux dealers, elle saisit l'occasion de lui porter secours et devenir ainsi une guerrière légendaire. 

Dans ce premier roman Zelda a le syndrome d'alcoolisation foetal. Elle, qui a vécu une enfance et une adolescence différentes, se réalise dans une dimension légendaire qu'elle applique à sa vie quotidienne. Drôle et émouvant.


NIL. Paris, 2020

lundi 30 mars 2020

Rosewater de Tade Thompson

Roman de science-fiction qui se déroule au Nigeria en 2066, dans la ville imaginaire de Rosewater. Karoo travaille comme agent de répression de la cyberfraude, et est membre du S45, une officine d État chargée de missions plus ou moins discrètes qui l'a recruté en raison de ses pouvoirs psychiques. 

Premier tome de la trilogie. Temporalités entrecroisées pour un roman plutôt original.

Millénaires, 2020, traduit par Henry-Luc Planchat.


samedi 7 mars 2020

Cachées par la forêt : 138 femmes de lettres oubliées de Eric Dussert

"Au moment de boucler le manuscrit d'Une forêt cachée, mon précédent recueil de portraits d'écrivains oubliés (La Table Ronde, 2013), je me suis aperçu avec perplexité que sur les 156 textes seuls 17 étaient consacrés à des femmes de lettres. Aurais-je été misogyne sans le savoir ? Depuis 1993, je rédigeais ces portraits pour le Matricule des Anges en affrontant la double difficulté d'un manque d'information : difficile de trouver une image représentant ces femmes souvent discrètes, plus difficile encore de leur faire révéler leur date de naissance masquée par la coquetterie d'un usage qui prévaut encore parfois. Avec ce nouveau recueil de portraits, j'ai souhaité corriger les défauts de mon panorama et montrer comment de très nombreuses femmes de lettres ont été "cachées par la forêt" de la littérature". Eric Dussert.

Des autrices méconnues, écartées, disparues. Malheureusement, nombre de ces écrivaines n'ont pas été rééditées.  Beau travail de recherche toutefois. 

La table ronde 2020

 

vendredi 28 février 2020

Mamma Maria de Serena Giuliano

Roman feel good se déroulant l'Italie qui nous fait faire un beau voyage. Une bonne dose de bons sentiments pas désagréables en ce moment. On mange bien, on est amicaux les uns avec les autres, il fait beau et la vie est belle. 

Parfois cela fait du bien d'échapper à un quotidien anxiogène.

Cherche Midi, 2020.

 

 

samedi 1 février 2020

Sankhara de Frédérique Deghelt

Sans aucune attirance pour ce genre de pratique et par hasard convaincue par un ami, Hélène qui traverse avec son mari un passage très difficile, part pour onze jours s’enfermer dans le silence d’une méditation Vipassana. De cela, elle ne dit rien à personne. Elle laisse ses enfants, des jumeaux de 5 ans, en ayant auprès d’eux méticuleusement organisé son absence mais son mari Sébastien ne peut comprendre cet abandon qu’il interprète comme une trahison. Pendant 11 jours Hélène va découvrir le fonctionnement de tout être grâce à son étrange retraite. Sébastien, de son côté, traverse littéralement un chaos, intime et professionnel. Hélène revient le 16 septembre 2001. 

Ce livre confronte le plus intime au plus politique des engagements humains. Il interroge ce que l’individu peut espérer trouver en lui de ressources et de conscience pour tenter de voir et de dire le monde sans être abusé par la conformité et le pouvoir des médias.

Actes Sud, 2020.

mardi 7 janvier 2020

Le champ de Robert Seethaler

Comment caractériser une vie entière ? Les voix qui s’élèvent ici sont celles des habitants du cimetière, qu’on nomme « le champ » dans la petite ville de Paulstadt. À la concision des épitaphes, l’écrivain substitue les mots des défunts. Par un souvenir, une sensation fugace, une anecdote poignante, chacun de ces narrateurs évoque ce que fut son existence.
Au fil de la lecture émerge le portrait d’une bourgade comme tant d’autres, marquée par le retour de la prospérité au mitan du siècle dernier. La vie tourne autour des figures locales : le maire, la fleuriste, le facteur, le curé dévoré par les flammes dans l'incendie de l'église, le marchand de légumes…


Les voix se font écho, s’entrelacent, se contredisent parfois, formant le tableau d’une communauté riche d’individus et de sensibilités différentes.
Le plus saisissant dans ce texte est l’émotion qui sourd de chaque histoire : non celle de savoir le protagoniste disparu, mais l’empathie que parvient à susciter l’auteur pour ces êtres si vivants, leurs espoirs, leurs doutes, leurs ambitions, leur solitude.  Le Champ est un livre sur la vie, que Seethaler réussit à dire avec autant de simplicité que de profondeur.

Sabine Wespieser, 2020.